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point de vue

Travailler plus pour produire moins ?

L'identité des croissances du PIB et de l'emploi en 2007 indique que le PIB généré par chaque salarié, c'est-à-dire sa productivité, a stagné, souligne Philippe Brossard, économiste.

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Comment augmenter le pouvoir d'achat des Français si leur productivité stagne ? La croissance du PIB en France a atteint 1,9% en 2007, tandis que l'emploi salarié (hors service public) progressait lui aussi de 1,9%. Le premier chiffre a paru décevant, mais le second a été présenté comme un succès, permettant une baisse du taux de chômage.

Pourtant l'identité des croissances du PIB et de l'emploi indique que le PIB généré par chaque salarié (c'est-à-dire sa productivité) a stagné. Ce phénomène est inhabituel : en moyenne la productivité française par salarié a progressé de 1,5% par an depuis 1988. Mais on observe une tendance au ralentissement des progrès de productivité depuis 2004, qui aurait abouti à une stagnation en 2007. Comment expliquer cette chute tendancielle de la productivité ?

Une première explication à cette évolution de la productivité annuelle, serait une baisse du temps de travail annuel des salariés. Le développement du temps partiel pourrait par exemple en être un facteur. Sous cette hypothèse, la stagnation apparente de la productivité, observée sur une base annuelle, masquerait en fait une hausse de la productivité horaire. En vérité, sur la base des chiffres publiés par l'Insee sur les trois premiers trimestres 2007, il semblerait que la croissance du volume total des heures travaillées en 2007 soit sensiblement en ligne avec la hausse de l'emploi.

Le temps de travail moyen effectif des salariés serait resté à peu près stable. Les heures supplémentaires n'ont pas (encore ?) connu un net essor en 2007; mais les salariés n'ont pas non plus fait baisser leur temps de travail annuel. Force est de constater que la productivité horaire du travail aurait stagné.

Une deuxième explication, avancée par certains, consiste à soupçonner les statistiques officielles. Les chiffres du PIB sont difficiles à établir et sujets à de constantes révisions a posteriori. L'Insee ne les considère définitifs que trois ans après leur première publication. Et au terme de ces trois années, un changement méthodologique significatif a toutes les chances d'intervenir, amenant d'autres révisions de chiffres qu'on croyait définitifs.

On peut donc légitimement avancer que la croissance du PIB pourrait être sous-estimée. Du coup, la productivité n'aurait pas stagné, et l'économie française serait en meilleure santé structurelle et conjoncturelle qu'on ne le pense. Mais on manque de preuve. Et la tendance de ces dernières années au ralentissement de la productivité rend très plausible cette stagnation en 2007.

Une troisième explication à cette stagnation de la productivité est qu'elle résulte d'une politique délibérée. Sous le doux nom d'"enrichissement de la croissance en emploi", cette évolution a été recherchée par les gouvernements successifs depuis dix ans. Faute de pouvoir stimuler la croissance par la politique monétaire et la politique budgétaire, sur lesquelles ils ont perdu contrôle, les gouvernements ont cherché, à croissance égale, à obtenir plus d'emplois. La baisse actuelle du chômage témoigne d'un certain succès.

Pour autant sondages et élections récentes montrent l'ingratitude du public : au moment où le chômage semble reculer, l'opinion se focalise déjà sur un autre sujet : le pouvoir d'achat. Cette ingratitude semble au fond assez explicable : si la croissance de l'emploi est obtenue par une stagnation de la productivité, alors le revenu par salarié ne peut plus progresser (hors inflation).

La hausse de la croissance du PIB (qui représente l'ensemble des revenus nationaux) est entièrement absorbée par la croissance de l'emploi et ne dégage plus de marge de manoeuvre pour accroître le pouvoir d'achat de ceux qui avaient déjà un emploi. Si la productivité stagne, on se trouve donc confronté à un dilemme; il faut choisir entre la réduction du chômage ou la hausse du pouvoir d'achat; mais on ne peut obtenir les deux simultanément.

A moins, bien sûr, de modifier le partage de la valeur ajoutée: par exemple, en transférant, par l'impôt, des revenus du capital vers les salariés; ou en transférant moins de revenus des actifs vers les inactifs.

L'évolution de la productivité française est plus inquiétante encore quand on l'observe par secteur. L'industrie continue de faire des progrès de productivité substantiels, sous l'aiguillon de la concurrence internationale. Mais dans les autres secteurs, surtout les plus dynamiques (services aux particuliers, construction), la productivité baisse significativement.

La part de l'industrie se réduisant comme peau de chagrin au profit de secteurs moins productifs, la productivité globale française devrait reculer dans les années qui viennent : les Français finiront-ils par travailler plus pour produire moins ?

Philippe Brossard, économiste